vendredi 11 mai 2007

K-B / ép. 1 - La Caverne aux démons

Khara-Khoto, au nord de la Chine. 1372.
La caverne, gigantesque, se déploie progressivement devant le regard, telle une cathédrale dont les flèches ne cesseraient de s’élever. Une basilique de noir basalte, en creux. Sa structure en orgue, à l’instar de la Chaussée des géants, à la pointe du pays d'Eire, éveille instantanément le sentiment poignant qu’il pourrait s’agir d’une œuvre humaine.

Au cœur et à la base de cet écrin de pierre, comme placé devant un autel, se tient l’homme. Il est plus grand que ses contemporains, solide, dur au mal. Il a un collier de barbe et une longue crinière noire tenue par un anneau d’or. Sombre, il regarde ses mains. Son armure noire de cuir bosselé épouse ses épaules et son poitrail. Sa respiration bruyante trahit une douleur.

Autour de lui, juché sur les colonnes polygonales, des figures silencieuses : tout un panthéon de dieux, démons, et autres puissances. Tels des bonzes, ils sont habillés de soies étincelantes et chamarrées ou, plus simplement, d'un drap de coton. Certains sont jeunes, d’autres moins, sans que l’on puisse préciser l’âge. Il y en a debout, mais la plupart sont assis, à balancer les jambes dans le vide parfois. Deux divinités féminines parmi eux. Des natures vigoureuses, généreuses, de ferme volonté tout en même temps que d’inépuisable volupté. Celle qui est accroupie observe intensément le front de l’homme. Un scintillement de sons et une légère coulée d’eau de rose flotte, enveloppant les sens.

- Cette année marque la fin d’une époque, prince. Les armées de l’Empereur s’empareront bientôt de la noire Cité, avant que de la détruire.

L’un des dieux s’était approché de l’homme et penché sur lui, lui prenant le menton, afin de le regarder dans les yeux. Les mots s’étaient alors doucement posés sur le cœur du chef de guerre, provoquant une vive réaction d’émotion. La divinité continua.

- Comme il est singulier de voir qu’il n’y a souvent qu’un voile ténu entre le cœur d’un guerrier et celui d’un enfant... Ton pays abrite l’un des accès au Royaume souterrain. Il ne saurait être question que quelqu’un s’y aventurât. Tu dois commencer ce soir la tâche que nous t’avons assignée.

- Si vite ? Pourquoi une telle hâte ? s’inquiète le prince.

- Tu as beaucoup à faire, répond le sage. Consciencieusement effacer toutes les traces de la grandeur de cette cité. Ne jamais laisser deviner qu’elle est un haut lieu de spiritualité, de connaissance et de richesses. Faire porter les archives sacrées et les objets saints en lieu sûr. Placer tous les individus que nous t’avons indiqués hors d’atteinte des bêtes sanguinaires qui s’apprêtent à déferler dans la vallée.

- Et les autres ?

- Nous en avons déjà parlé, Khara-Baatar. Tous ceux qui ont manifesté un quelconque intérêt pour l’élévation, seront protégés. Les autres ont décidé eux-mêmes de leur sort. Bien entendu, si on te demande de l’aide, et que cela ne met pas le reste de ton ouvrage en péril, il te faudra l’accorder.

La tête baissée comme un pénitent, l’homme met un temps infini avant de bredouiller sa question.

- Pourquoi ?...

Sautant de son promontoire, la déesse qui détaillait intensément l’homme tout à l’heure, exécute à présent une sorte de danse autour de lui. Ses doigts fins viennent effleurer les tempes du prince. Son sourire frémit à ses oreilles.

- Pourquoi "toi", mon beau prince ? Pourquoi t’avoir appelé dans l’antichambre de l’Agharta ? Pourquoi, depuis quelques années, avoir partagé avec toi certains de nos plus dangereux secrets, toi le despote ? Pourquoi avoir choisi un homme qui a tué, pillé, violé, manipulé sans relâche et sans vergogne durant l’essentiel de sa vie ? Voilà la plus intéressante des questions que tu nous aies posé jusqu’ici.

Khara-Baatar, bien loin de répondre à la provocation, se tient coi, les yeux rivés au sol.

- Parce qu’il nous fallait quelqu’un qui ne croit en rien pour pouvoir entendre notre vérité, continue un démon au visage juvénile. Celle qui est impossible à entendre lorsqu’on a la tête ou le cœur obscurcis par trop d'idées, héritées de tous horizons.

- La vérité ne s’occupe ni du Bien ni du Mal, mais seulement de ce qui Est, surenchérit un bouddha aux yeux presque fermés.

- Il nous fallait quelqu’un à même de comprendre ce que nous aurions à lui confier, et capable de « trancher », même lorsque les décisions sont difficiles, poursuit la déesse. Un homme susceptible d'assumer ses responsabilités. Et puis tu es, malgré ton lourd passé, autant qu’un autre capable de te racheter. Mais attention, se racheter c'est choisir la Juste Voie. Celle qui est pérenne.

Puis, après un temps qui lui avait semblé être celui du recueillement, le premier des dieux recommence à parler.

- A présent, écoute Khara-Baatar, car peu nombreux sont ceux qui ont entendu ce que nous allons te dévoiler…

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